Edito de Pierre-Kaloyann Atanassov
Le vrai mélomane et l’embarras du choix
La Schubertiade de Sceaux 22/23 s’annonce plus excitante que jamais. Avec un seul problème pour l’auditeur: comment choisir parmi le vaste panel d’artistes et de programmes proposés dans cette nouvelle saison? On vous aide à choisir (et à vérifier du même coup si vous êtes un vrai mélomane).
Autant le dire tout de go : s’il y a UN concert à ne manquer sous aucun prétexte, ce sera clairement le concert d’ouverture. Parce qu’entre une jeune prodige du violon et une star du piano au firmament, il y a un duo explosif. Parce que leur programme est survitaminé. Et parce que l’histoire improbable de leur rencontre semble tout droit sortie de l’imagination des scénaristes de Netflix.
Oui… sauf que pour un mélomane respectable, manquer le concert du duo Geister, ce serait franchement regrettable, voire impardonnable. Les deux pianistes français, qui m’ont tapé dans l’oreille quand ils m’ont contacté voilà quelques années, ont entre-temps remporté le 1er Prix du concours de l’ARD à Munich, la compétition musicale la plus difficile au monde. De même qu’on imagine mal un amateur de tennis manquer Federer lorsqu’il vient jouer en bas de chez lui, on voit mal comment un vrai mélomane pourrait manquer ce concert sans en manger son chapeau de dépit.
Cela dit, en décembre, il y aura six musiciens sur scène. Pensez-y, car ce n’est pas arrivé souvent à la Schubertiade, c’est même une première. Ce serait dommage de passer à côté, d’autant que les six en question ne sont pas à proprement parler des seconds couteaux. Et si d’aventure l’audace vous prenait de snober le deuxième sextuor de Brahms sans excuse sérieusement valable, ce serait à vos risques et périls: d’aucuns ne se gêneraient pas pour asséner que vous êtes aussi mélomane que la perruque de Mozart.
Si un tel incident se produisait, surtout ne perdez pas la face. Toisez l’insolent paltoquet d’un air digne et rétorquez sans ciller que vous préférez écouter Aline Piboule – ce sera là un argument de poids vous évitant de passer pour un mélomane de pacotille. Car écouter cette pianiste aux doigts de fée dans les programmes qu’elle met autant de soin à construire qu’un chef trois étoiles à élaborer son menu vous placerait d’emblée au niveau d’un mélomane fin gourmet.
Bon, et si vous oubliiez tout ce qu’on vient de dire? Car à la réflexion, s’il y a UN concert à vous conseiller, c’est assurément, définitivement, celui de février. Pas seulement parce qu’il y aura du chant – ça aussi c’est nouveau dans la Schubertiade. Mais parce que Clémentine Decouture est une soprano absolument hors norme. Par son charisme, par son aisance vocale, par son ahurissante polyvalence stylistique. Si vous avez la chair de poule, ce ne sera pas forcément à cause des frimas de l’hiver – juste le signe que le mélomane qui est en vous n’est pas en train d’hiberner.
Quoique… et si, tout compte fait, LE concert ultime à ne pas manquer était le concert de clôture ? Parce que le mélomane, le vrai, n’a pas besoin de paillettes, d’excès, d’excentricité. La transparence du trio à cordes, la pureté de Mozart, la classe du trio Arnold: il n’y a que ça de vrai, Messieurs-dames!
Bref…
Pesez le pour, le contre (si tant est que vous trouviez du contre), choisissez en votre âme et conscience. Et si le doute vous torture, que faire un choix vous embarrasse au point de vous priver de sommeil la nuit, rappelez-vous que l’abus de concerts n’est pas dangereux pour la santé, et que vous pouvez tout aussi bien choisir d’assister aux six!
Pierre-Kaloyann Atanassov
PS. Rassurez-vous, le bonnet d’âne du pire mélomane de cette saison 4 reviendra sans conteste au personnage du conte musical auquel vous ne manquerez pas d’assister avec vos enfants le 14 janvier : « Le roi qui n’aimait pas la musique »…